Journal de Melinda, chapitre 5.
Cher Journal ;
Ici la vie suit son cours - oui, c'est bateau d'écrire cela, mais moi seule te lis, n'est-ce pas ? Il n'y aura pas de grands juges érudits pour évaluer mon style...
Au jardin, nous avons ajouter trois ruches. Le miel et la cire se vendent très bien, et surtout, nos abeilles assurent à nos plantes une pollenisation 100% naturelle. Je ne répèterai jamais assez l'importance d'un écosystème sain. Malheureusement, mes filles semblent réticentes à ces principes. Elles me taquinent, me traitant d' "écomaniaque". Ecomaniaque ? Je veux bien. Ecolo, on l'est à fond ou pas du tout...
Les relations entre mes deux abominables puces s'améliorent avec le temps. Elles arrivent même à jouer ensemble sans se battre, maintenant. Enfin, parfois... Maelys continue de traîner dans mes pattes - il faudrait quand même que cette petite prenne un peu d'indépendance - et Béatrix, dans les jambes de son père ("Papaaaaaa !" est un cri récurrent dans cette maison).
Enfin, la petite reste la cible de petites farces, pas méchantes - ou plutôt si : piéger la douche à cinq minutes du départ à l'école, quand Maelys a le choix entre arriver en retard ou s'afficher en classe avec les cheveux bleus, c'est quand même limite limite... Et je ne parle pas de la disparition de Monsieur Nounours, porté absent depuis trois jours. Béatrix nie en bloc toute responsabilité, mais j'ai des doutes.
On a retrouvé Monsieur Nounours. Dans le lave vaisselle. Le lave vaisselle est fichu, et le nounours ne vaut guère mieux, mais bon, Brunehilde et la magie sont là pour nous aider. N'empêche que j'imagine mal un des chiens voler la peluche et s'en débarrasser dans l'electroménager. Bizarre comme béatrix s'est faite toute sage, toute mignonne, dans on a retrouvé ce jouet naufragé...
Ce qui m'inquiète, c'est qu'à chaque coup dur, Maelys compense à grandes cuillères de glace au chocolat. Le nombre de pot de glace qui disparaissent du congélateur est proprement alarmant. Je vais devoir la surveiller, je n'aimerai pas découvrir que ma toute petite devient boulimique... En plus, manger ces glaces industrielles garanties pleines de colorants et de conservateurs E 112, alors qu'on a tout ces beaux fruits du jardin, cela me sidère.
J'ai essayé de lui parler des problèmes qu'elle rencontre avec Béa. En vain. Le mur du silence, ce n'est pas une image...
Ca m'inquiète vraiment. Heureusement, Béa grandit bientôt, on verra bien ce que la situation donnera à l'adolescence.
Enfin, la petite ne souffle pas un mot ( "non, maman, je n'ai pas de souci, pourquoi tu me demandes ça ?"), mais elle n'est pas avare de câlins... J'adore les câlins de Maelys. Elle sent le miel. Ma petite fille... Je la couvre de câlins et de bisous, elle adore ça, et cher Journal, moi aussi...
Cher Journal ;
Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de Béa. Elle est toute fière d'être au centre de l'attention générale. Elle m'a obligée à acheter un gros gâteau industriel, de ceux avec quinze milles colorants dessus, mais bon, c'est son anniversaire, pas le mien.
Et en grandissant, elle est devenue ravissante. Et sûre d'elle. Et soucieuse du qu'en dira-ton, de bien se comporter en toute occasion, d'être ... respectable, oui, c'est le mot. Espérons que ça la dissuadera de teindre sa petite soeur en bleu ou de faucher des nounours.
Maelys, elle, n'avait pas l'air radieuse de voir que son tyran domestique personnel faisait désormais deux têtes de plus qu'elle. Elle s'est vengée sur le gâteau...
Cher Journal ;
Pas d'inquiétude à avoir sur la sagesse de Béatrix adolescente. Mademoiselle passe son temps dans ses devoirs, ou à potasser de vieux recueils d'alchimie. "Tu comprends, Maman, l'alchimie, pour une sorcière, c'est une véritable quète spirituelle, la voie vers l'Illumination". Je souris en écrivant cela, mais je suis émue. La voir si exaltée me rappelle l'époque désormais lointaine où j'ai rencontré Orion... Tiens, Béatrix ne parle jamais d'aucun garçon, à croire qu'à Dragon Valley le lycée n'est plus mixte... A moins qu'ils ne soient dérisoires devant les "mystères spirituels secrets de l'alchimie" interdits aux profanes...
Orion vieillit tout doucement. Malgré ses lombaires, il a compris que j'attendais de lui une petite aide au jardin. Il préfère peindre, mais il s'exécute. Brave homme, je l'ai bien choisi.
Moi, je cultive, je déserbe, j'enfume les ruches, je pêche, je m'occupe des animaux, et je fais vivre mon petit monde. Et j'en suis très fière. Parfois, je m'exerce aussi à la magie, pour ne pas perdre la main, mais ce n'est pas un domaine où je brille. En inventant de nouvelles recettes avec mon chaudron, je m'évanouis une fois sur trois. Une bonne écolo, et une sorcière médiocre (et peu soucieuse de s'améliorer) ; cela me définit parfaitement.
Pour Mae, l'indifférence absolue de sa grande soeur à son égard est pain bénit. Elle savoure la paix retrouvée, en lisant tout ce qui lui tombe sous la main. Elle nous raconte ensuite ses lectures au dîner, passant des romans romanesques aux essais philosophiques avec une égale ferveur.
Elle a déjà dévoré tous les romans de la maison, et rêve d'acheter une nouvelle bibliothèque. Non, pas "de nouveaux livres". Directement "une nouvelle bibliothèque". En matière d'ouvrages littéraires, elle voit les choses en grand.
C'est sûr qu'elle nous donne envie de lire, à tous. Je me surprends souvent à achever un roman aux petites heures du jour, au lieu de dormir. Même Brunehilde s'y met - mais elle ne lit que des romans d'horreur. Pas vraiment de la grande littérature, mais cela viendra peut-être.
Bon, le rythme de la disparition des glaces au chocolat ne diminue pas pour autant...
Et son anniversaire arrive déjà, snif ! Mon bébé qui devient grande... Là, je prends vraiment un coup de vieux. En plus, elle a réclamé le même gâteau industriel que sa grande soeur, celui avec le glaçage multicolore. Elle n'a pas très envie de grandir, ma puce. Elle serait bien restée enfant quelques années de plus, à se faire câliner, et à dévorer de concert ses livres et ses crèmes glacées.
Mince alors ! Elle n'est pas grosse du tout ( je le craignais un peu, avec toutes ces glaces !) et très jolie. J'espère vraiment lui transmettre le domaine dans quelques années - si elle l'accepte.
Bien sûr, elle s'est jeté sur les nouveaux receuils offerts pour l'occasion...
Cher Journal ;
L'automne est arrivée, baigné de soleil ; les feuilles se parent de roux et d'or ; je vibre de bonheur, en harmonie avec mon jardin, avec cette terre que j'aime ; je savoure la riche odeur des feuilles et de l'humus. La récolte est magnifique, et je suis profondément heureuse.
Orion et moi vivons en toute harmonie, complices dans les moindres petites choses de la vie. C'est l'homme que j'aime, que j'ai toujours aimé, que j'ai choisi et je ne regrette pas ce choix aujourd'hui - pas une seule seconde.
Il a développé un sens de l'humour très fin, se moquant de lui même et de nous deux avec esprit et douceur. Et nous rions, nous rions ensemble.
Avec ses dons artistiques, il a vite maîtrisé le violon, et me joue souvent la sérénade...
Et, mieux encore, il m'a écrit un morceau, une gigue, vivante et endiablée ("à ton image", m'a-t-il dit...). Il me la joue souvent, et me regarde danser tout en jouant.
Et je danse ...
Cher Journal ;
J'aime beaucoup ce que peint Orion ces derniers temps.
Il développe une période "classicisme hollandais" qui m'intéresse, qui m'attire, moi qui n'ai pas plus de sens artistique qu'un moineau. J'aime ce qu'il fait, et je passe souvent de longs moments à regarder ces oeuvres.
Curieusement, elles semblent lumineuses, même dans le clair obscur de notre demeure. Je n'ai pas voulu qu'on les vende ; je préfère pouvoir les admirer quand je le souhaite.
Je fais le tour de ses toiles et les admire tour à tour...
Nous sommes heureux, tout simplement.
Cher Journal ;
Maelys s'est amourachée de la star du lycée, le dénommé Duncan O'Shea. De ce qu'elle peut en dire, il me semble surtout qu'il s'agit d'un petit imbécile sans intérêt, mais bon, je ne le connais pas personnellement. Je pense cependant que ma pauvre puce risque d'être profondément déçue...
Moi, celui que je verrais bien avec Maelys, c'est lui ! Sean Mithriden, son meilleur ami. Il n'est pas sorcier, mais ce n'est pas l'essentiel dans la vie, et il est poli, gentil et drôle. Malheureusement, entre Maelys et lui, je ne vois guère d'autre lien qu'une franche camaraderie.
Ils refont le monde autour d'un café, ou retombent en enfance en se fracassant la tête à coup de polochons...
Mais pfff ! Quand le soir tombe et que Sean repart chez sa mère, pas le moindre sous entendu, pas le plus petit regard en coin, pas l'ombre d'un bisou... Amis, ils sont amis. A la vie à la mort. Mais j'espére quand même que leur relation évoluera...
Sinon, Mae s'est mise à la cuisine. Des desserts à dévorer, elle est passée aux petits plats à faire mijoter. Je dois dire que ça fait plaisir de manger des repas plus élaborés que ma traditionnelle salade d'automne. Moi j'adore ça, c'est mon plat préféré, mais ce n'est pas le cas pour Béatrix et Orion, et là, ils profitent bien des talents de cordon bleu de ma cadette. En plus, pendant ce temps, je ne suis pas derrière les fourneaux, ça me fait des vacances !
Pas d'histoire d'amour pour Béatrix, ni même de meilleur ami pour toujours. Mademoiselle est irritable ces temps ci, en proie à des sautes d'humeur, passant d'une songerie rêveuse à une moue renfrognée en l'espace d'un quart d'heure, pleurant, riant, grognant enfin, puis se consacrant à nouveau à "sa quête mystique" avant de l'abandonner d'un air dégoûté... Durdur d'être une ado...
En tout cas, avec l'adolescence, les filles sont devenues de grandes amies. Elles passent des heures à glousser sous cape, à s'échanger des propos inaudibles, et à se taire dès que j'approche. Cela dure depuis déjà quelques temps, je me demande bien ce qu'elles mijotent... Mais après tout, cela ne me regarde pas ! Je détestais que ma mère m'espionne, je vais leur laisser leur jardin secret.
Mais on ne m'ôtera pas de la tête qu'il y a du secret dans l'air...
Je te laisse, cher Journal, le temps de m'occuper des bêtes et on passera à table. Mae nous a fait une tarte au potiron.