Journal de Luciane, chapitre 8.
Cher Journal ;
J'ai donc ramené le petit Xhin à la maison. Nous voilà désormais parents de quatre superbes enfants. Inutile de préciser que Corentin n'a opposé aucune objection à cela...
Je le connais déjà aussi bien que mes propres enfants et je sais qu'il sera doué pour toutes les activités sportives, et bien sûr les Arts Martiaux. Comment pourrait-il en être autrement ?
L'été s'approche. Désormais, les travaux des champs me prennent presque tout mon temps. Je passe des heures à récolter et à désherber... J'ai d'ailleurs récolter de splendides coups de soleil, qui se sont à ma grande joie transformés en superbe bronzage.
Je peux d'emblée dire que la récolte sera bonne, et que nous n'aurons pas de souci financier cette année... Mes courbatures peuvent témoigner de la richesse de notre jardin !
Bien sûr, je garde du temps pour ma nichée d'enfants. En fait, j'aurais largement de quoi m'occuper toute la journée à la Ferme, mais je ne peux pas me passer d'un peu de temps avec eux. Sans quelques batailles d'oreillers avec Mélusine, sans faire des câlins aux bébés et des chatouilles à Corwin, ma journée semble ne pas avoir de saveur...
Mélusine et Corwin sont adorables lorsqu'ils jouent. Aussi étonnant que cela paraisse, compte tenu de leur différence d'âge, ils passent beaucoup de temps ensemble.
Cependant, ils restent très différents. Mélusine est une petite fille sage, studieuse et calme, qui vit dans un monde de tendresse et s'invente des histoires d'amour avec ses poupées...
Corwin, lui, a une conception du jeu plus personnelle. L'attaque du monstre galactique dévorant les habitants, par exemple.
Il est parfois rétif, et se cache quand on essaie de le changer ou de parfaire sa maîtrise hésitante du langage. Cela dit, il reste si mignon que je n'ai pas le coeur à le gronder. Corentin dit que je le gâte, mais il m'attendrit trop, me fait trop rire pour que je me fâche.
Mélusine va grandir bientôt. Le temps passe si vite ! Sous peu, j'atteindrai mes quarante ans, et ma fille va devenir adolescente. Elle est si douce, si songeuse... Je n'arrive pas du tout à m'imaginer de disputes, de conflits et de sautes d'humeur, même sous l'influence de poussées hormonales incontrôlables. Enfin, nous verrons bien.
Cher Journal ;
Mélusine a soufflé ses bougies aujourd'hui. Mon bébé a grandi, et est devenue une jeune fille, presque une femme.
Une très jolie jeune fille au demeurant, un peu coquette, comme toute les adolescentes ; mais pour l'instant, elle reste toujours calme et douce. Pas de poussée d'acnée, de crise de nerfs ou de chagrin d'amour à l'horizon...
Elle a demandé à son père de lui apprendre à conduire autre chose qu'un balai, et elle a donc victorieusement obtenu son permis de conduire au volant de la Duesenberg. Excusez du peu !
En revanche, ses lectures à la lampe de poche ont laissé des séquelles. Elle a du mal à distinguer les détails du jardin désormais, et ses devoirs la rendent migraineuse.
Il fallait se rendre à l'évidence, une visite chez l'ophtalmologiste s'imposait. Ses lunettes lui vont bien, d'ailleurs. Elle s'est longuement regardée en revenant de chez l'opticien, mais le résultat semble lui plaire. Heureusement ; je n'avais pas du tout envie de lui livrer une guerre pour qu'elle porte ses lunettes.
Elle passe toujours beaucoup de temps avec son petit frère Corwin, et participe activement à son éducation et aux soins des petits.
Heureusement d'ailleurs, car il faut reconnaître que Corentin et moi sommes débordés. Trois bambins à la maison ! Et oui, Xhin et Elouan ont grandi, et il faut assurer à eux aussi les bases de l'éducation...
Elouan est devenu un charmant bambin aux yeux bleus turquoise, comme son frère, les yeux d'Adriel. Il a aussi hérité de la chevelure de nuit de son père.
Et Xhin bien sûr ne ressemble qu'à lui même, et pas du tout à son incarnation précédente. C'est un adorable petit garçon, sociable et joueur.
Les trois bouts de chou arrivent à jouer ensemble sans cris ni disputes. Nous n'avons à arbitrer aucun conflit. Nous avons de la chance, car il faut bien admettre que nous n'avons pas une minute à nous.
Corwin a son tour va bientôt grandir et devenir plus autonome. J'attends avec impatience qu'il souffle ses bougies. J'adore mes enfants, mais je suis exténuée, le jardin croule sous les mauvaises herbes et Corentin n'a pas pu toucher à son établi depuis des lustres.
Cela dit, je m'inquiète un peu de voir à quel point mon p'tit loup est tributaire de ses instincts. Il contemple souvent le jardin endormi, de nuit, sous la lune ; on sent qu'il ne rêve que d'une chose, partir vagabonder entre les arbres...
Cher Journal ;
Nous avons fêté l'anniversaire de Corwin aujourd'hui. Nous avons chanté "joyeux anniversaire" en choeur, ri, applaudi et l'avons aidé à souffler ses bougies... Et Corwin est devenu en bel enfant au regard lumineux.
Presque trop lumineux, d'ailleurs. Il a un regard froid de prédateur, n'ai je pas pu m'empêcher de penser. Impossible de ne pas sentir dès le premier abord qu'il est différent de nous autres sorciers. Le physique de Corentin, assez semblable au nôtre sous sa forme humaine, ne m'avait pas préparé à cela.
Nous avons eu, Mélusine et moi, notre première anicroche ce soir là, car elle jugeait urgent de mettre les restes de côté au plus vite, tandis que je m'apprêtais à montrer auparavant sa nouvelle chambre à mon fils. C'est là que j'ai réalisé qu'en grandissant, elle était devenue un peu pingre.
En tout cas, Corwin a adoré sa chambre, et s'est jeté sur le lit pour mieux l'admirer.
j'en profite, cher Journal, pour coller une photo de Mélusine dans sa chambre redécorée depuis son anniversaire. Elle l'aime beaucoup, et passe son temps sur son lit, à méditer, rêvasser ou lire - ma petite intellectuelle... Si différente de moi...
Et la vie quotidienne a repris, avec les travaux des champs, avec l'éducation des petits...
Si Corwin, tout bambin, contemplait la lune, Elouan, lui, a trouvé une solution toute magique pour se distraire. Il fait apparaître les jouets qui l'intéressent, et joue à les faire s'évaporer ensuite dans un nuage d'étincelles ou de fumée.
Xhin, lui, a des loisirs plus traditionnels.
Corwin en grandissant affiche de plus en plus sa différence avec son intellectuelle de grande soeur. C'est un vrai petit casse cou, toujours en mouvement, toujours prêt à jouer, bondir, grimper aux arbres et sauter des rochers.
Il a une imagination fertile, et s'imagine cow boy, indien, avion ou sous marin - je ne raconte pas l'état du sol de la salle de bain après le passage du Nautilus !
En revanche, il s'est absolument ridiculisé sur le tobbogan. Casse cou, peut être, mais pas toujours ! Il était à deux doigts de m'appeler lors de son premier essai de glissade !
Glissade qui s'est finie par terre, avec une grosse bosse et une bonne dose d'humiliation.... Les tobbogans sont parfois impitoyables.
Cela dit, ce n'est pas un enfant facile. Ses pulsions de violence transparaissent toujours dans ses jeux. Lorsqu'il chasse des bandits imaginaires, je me prends à m'appitoyer sur leur sort. Il paraît alors si dur, si aggresif.
Il se met parfois en colère ou boude pour rien, une mauvaise note, un exercice difficile, une réprimande. Il n'a aucune tolérance à la frustration, et le moindre refus le fâche, même s'il ne s'agit que d'un bonbon ou d'une broutille.
Alors, c'est l'explosion. Il ne contrôle pas du tout ses pulsions, et se transforme en garou. J'ai un petit loup à la maison, plus qu'un petit garçon, et l'état de ses meubles s'en ressent. Je vais mettre des griffoirs.
Bref, heureusement que j'ai fait ce long travail sur moi pour maîtriser ma peur, parce que mon p'tit loup peu parfois effrayer. Cela dit, ses pulsions incontrôlables me causent quand même beaucoup de soucis pour l'avenir.
Seule Mélusine arrive à juguler un peu les crises de colère de son petit frère. Mes deux aînés restent très complices, et les longs moments où mon petit génie explique ses multiplications au p'tit loup les rapprochent encore.
Sinon, Mélusine passe son temps dans ses livres. Elle les choisit, les lit, les contemple, comme autant de trésors incompris. Je m'attends chaque jour à ce qu'elle me déclare qu'elle veut devenir écrivain.
Cher Journal ;
L'été battait son plein, et le jardin avait atteint un tel état de misère que je n'avais plus le choix ; j'ai consacré ma journée à essayer de lui redonner forme.
Sous une chaleur étouffante, j'ai passé ma matinée à désherber, abandonnant les petits à la garde de Mélusine, ce qui n'était d'ailleurs pas une façon très gentille de lui faire passer sa journée de congé.
La chaleur avait tant désséché la terre que mon tracteur soulevait des nuages de poussières, tandis qu'inconsciente du drame qui se déroulait, j'arrosais mes cultures... Si seulement, si seulement j'avais su.... En même temps, qu'aurais je pu faire ? Il est des drames qui ne peuvent être évités. Des traumatismes qui s'abattent comme la foudre.
C'est que, profitant du baby sitting de Mélusine, Corentin s'était éclipsé dans son atelier qui lui avait tant manqué, afin de parachever ses dernières inventions.
"Une invention bien conçue ne présente aucun danger à réaliser"'. Si seulement il avait dit vrai.... Si la chance avait été de son côté... Si cette journée avait pu ne jamais exister...
L'invention a pris feu. Le feu s'est étendu. En peu de temps, c'est l'atelier entier qui brûlait avec ardeur.
Corentin a dû franchir un véritable mur de flammes pour sortir et s'échapper du brasier. Le médecin nous a confié que seule une transformation en garou, en renforçant ses forces, lui avait permis de survivre à ses brûlures.
A peine le seuil des Tourelles franchi, il s'est écroulé sur le sol, incapable de bouger. Et je n'étais pas là ! J'ignorais tout ! Mélusine, seule à pouvoir réagir, a dû appeler le médecin en urgence.
Le médecin a été très pessimiste. Les seules chances de survie de Corentin tenaient à sa nature animale. Et elles restaient minimes.