Journal d'Hermione, chapitre 1.
Cher Journal ;
Ma délicieuse grande soeur - cette idiote d'Ewilan - est enfin devenue adulte. Je jubile en pensant au tour de dupes que je lui ai joué. J'avais mes raisons, certes : une seule, mais excellente raison. Les Tourelles. Je veux ce domaine, et j'y ai droit. Je suis la seule à m'être souciée de la nature magique de ses habitants, la seule à m'y être pleinement impliquée, et ce n'est pas un absurde concours de circonstances qui va m'éloigner de mon but. Pour réaliser mon objectif, je suis prête à tout.
Ewilan a donc fêté sa majorité, ainsi bien sûr que son inséparable Auryl. Toute la famille était réunie pour ce qui devait être le sacre de l'héritière, la grande cérémonie de la transmission des clefs. Comme si Ewilan était apte à tenir un domaine, à gérer un budget, à tenir un jardin, elle qui ne fait pas de différence entre une carotte et un géranium. Elle qui, d'une façon générale, sait surtout cultiver ce qu'elle a de meilleur, son apparence et sa coiffure.
Et là, surprise surprise ! L'héritière en titre annonce tranquillement qu'elle compte quitter la maison. Pour se lancer dans la chanson ! Ewilan s'imagine star, riche et célèbre, très très loin du terrreau qui l'a vue grandir. On aurait pu penser qu'elle s'assagirait en grandissant ; elle se prend désormais pour une diva. Bref, elle est prête à tout pour réaliser son rêve, confiante en ses capacités (!) et en sa chance. Moi, je jubilais dans mon coin.
Elle a exposé son plan de carrière (et, malheureusement pour ses auditeurs, un échantillon de ses performances vocales) à Maman, stupéfaite. Je me suis bien gardée d'intervenir.
Après avoir, des semaines durant, guetté les moindres venues d'Ewilan dans le sous sol, j'estime avoir mérité ma satisfaction de ce jour. Après tout, le petit tour que je lui ai joué n'aurait pas fonctionné si mon aînée avait fait preuve de la moindre once de bon sens.
Ewilan a toujours cru passionnément aux prédictions de la boule de cristal. Si celle ci lui promettait avec constance monts et merveilles dans le paradis doré du show bussiness, elle ne pouvais que la croire. Et moi, qui me dissimulais pour lui narrer ces fadaises, je devais me mordre les lèvres pour m'empêcher de ricaner.
Il a quand même fallu que je paie Ewilan un peu plus que d'illusions. Nous avions convenu que, si elle renonçait à son droit d'aînesse à mon profit, je lui offrirais la plus belle maison de la ville; Je n'ai pas lésiné. Les coffres de la maison sont vides, mais je me rapproche du titre d'héritière, et les Tourelles seront un jour à moi...
Comme promis - Maman y met le temps, mais tient toujours ses promesses - ma mère m'a offert le fameux breuvage de sorcellerie qu'elle avait mijoté avec les ingrédients si difficilement glanés. J'ai l'impression d'avoir attendu ce moment toute ma vie. Je serai enfin une sorcière, un être surnaturel, supérieur. Digne de maîtriser d'une main de fer les Tourelles, d'en tirer la substantifique moelle.
Je n'ai pas attendu une seconde de plus pour pulvériser le flacon à mes pieds.
Et j'ai senti le pouvoir m'envahir, irradier dans mes veines comme un feu liquide, me glaçant et me brûlant tour à tour. Ma transformation n'a prise que quelques horribles et délicieuses secondes et tout était fini. Ma conscience du monde avait changé ; je percevais désormais les courants magiques tourbilloner dans les airs, les essences profondes des être les entourer comme une aura.
J'étais - je suis à jamais - ce que j'aurais toujours du être : une sorcière !
Cher Journal ;
Aujourd'hui, j'ai rencontré le garçon de mes rêves. Yann Muller. Je l'aime. Je l'ai aimé au premier regard, exactement comme dans les récits des contes, que j'avais sottement méprisé.
Il est jeune, il est séduisant, il est beau. Je le veux. Il me le faut.
Malheureusement, je crains ne pas avoir fait une très bonne première impression. Le trac, sans doute. M'enthousiasmer pour la famille, la fidélité et les histoires d'amour éternelles, c'était sans doute en faire un peu trop pour un garçon de seize ans. J'ai dû lui faire un peu peur.
En revanche, il a été très intéressé par mes réflexions sur le Pouvoir.
Je lui ai même fait visité la bibliothèque qui dissimule la porte de notre laboratoire d'alchimie. Et, après lui avoir fait jurer le secret, je l'ai fait rentrer. Normalement, seul les membres de la famille ont l'autorisation de pénétrer ce lieu mystérieux et interdit, mais bon, si j'arrive à mes fins, il fera partie de la famille un jour ou l'autre...
Il a semblé très intéressé, mais un peu dépassé peut-être.
Cher Journal ;
Je l'aime. Je veux qu'il devienne mien. Je lui ai révélé mes sentiments dans une lettre brûlante, sans retenue, où je me livrais toute entière...
Quelle joie lorsqu'il m'a, par retour de courrier, fixé un rendez vous secret, ce soir, près de l'école ! Je rayonnais d'émotion. Je l'ai attendue, frémissante, jusqu'à la tombée du jour...
Il n'est jamais venu. Je le hais. Je connais un jeune homme qui va goûter à l'amertume de la vengenace froide des sorciers.
En attendant, il faut que je m'occuppe d'Elanna. Cette petite peste grandit en intelligence, en charisme et en beauté, et m'a en outre chipé le titre de reine du bal. Il faut que je trouve un moyen de l'éloigner des Tourelles.
J'ai tâté le terrain en sondant Adriel, abusant généreusement du fait qu'il est un peu amoureux de moi depuis toujours....
Et j'ai conclu avec lui un marché : il exposerait à Elanna tous les avantages qu'elle aurait à partir - la liberté d'exercer un métier, l'indépendance envers nos parents, la possibilité de se libérer de poids de l'exploitation, tout ce qui lui passerait par la tête, tant qu'Elanna était prête à l'entendre. En échange, je le garderai près de moi.
Cela m'a conforté dans mes certitudes : pourquoi discuter honnêtement avec un garçon quand en trois battements de cils on en obtient tout ce qu'on peut vouloir ? Chacun a son point faible, à moi de l'exploiter.
Le point faible d'Elanna, finalement, aura été son goût du risque. Elle a toujours été casse cou avant tout, avide de défi et de sensations fortes. J'ai fini par lui proposer de jouer le domaine.
Nous nous sommes donc affrontées passionément. Evidemment, je triche.
Aussi absurde que cela puisse me paraître, Elanna est honnête. Elle m'a promis solennellement et devant nos parents qu'elle renonçait aux Tourelles. Je reste seule en lice. Les sorcières demeureront au domaine.
Cher Journal ;
Aujourd'hui, je suis devenue majeure, et donc seule maîtresse à bord dans nos possessions. D'aucuns diraient "seule, après Dieu", mais je suis sûre qu'on pourrait négocier.
Vaniel, lui aussi, a grandi. Malheureusement, plus nous vieillissons, plus nos divergeances s'accentuent, nous éloignant irrémédiablement l'un de l'autre. Nous nous aimons encore tendrement, mais désapprouvons totalement la voie que l'autre a choisie.
Vaniel, devenu encore plus soucieux de respectabilité, m'a clairement expliqué qu'il désapprouvait mes " honteux stratagèmes" pour récupérer l'intégralité de l'héritage. Il ne pouvait envisager sereinement de continuer à vivre sous mon toit. Son intégrité l'en empêchait.
Nous nous sommes donc dit au revoir.
Il a emménagé dans une petite maison isolée où il pourra continuer ses études dans la solitude qu'il affectionne tant. Petite, mais respectable.
Mes parents ont vieilli eux aussi. Il était vraiment temps que je prenne les choses en main. Ils ont tant faits pour nous, je saurai leur assurer une vieillesse heureuse. J'ai même laissé Papa se laisser pousser la barbe, même si cela lui donne un faux air de père Noël. Je sais qu'ils attendent avec impatience leur premiers petits enfants. Moi, j'attends que Yann se décide à grandir. Nous avons des choses à nous dire, tous les deux.
Voyons, cher Journal.... Par où commencer....
J'ai fais quelques travaux d'agrandissement et de ravalement, et rénové aussi le pavage de la cour. D'autres changements auront lieu quand les finances le permettront. Je me promets de rendre ce lieu prospère, malgré les dépenses coûteuses nécessaires à l'installation de ma fratrie. J'espère parvenir non seulement à revenir à l'équilibre budgétaire antérieur à la future dot d'Elanna ( Adriel, je l'ai dit, souhaite rester à mes côtés), mais enrichir encore le domaine. De 50 000 simflouzs au moins. Cela me semble un bon objectif.
Voici ma chambre, installée en abattant le mur de séparation du petit bureau.
Et celle d'Adriel, où il compte s'installer sitôt son prochain anniversaire. J'ai pris soin de la décorer à ses couleurs, et je sais qu'il a été sensible à l'attention. J'aime bien Adriel, vraiment. C'est un gentil garçon discret, qui aime travailler dur. Je sais qu'il m'aidera à faire des Tourelles un paradis de cette vallée. Sous peu, je pense, cette chambre sera envahie par d'inombrables boutures. Adriel rêve de faire pousser les plantes les plus belles possibles, d'obtenir un jardin parfait, et je compte bien l'aider à réaliser son rêve.
En tout premier lieu, j'ai commencé par arracher toutes les plantes du jardin, même les arbres, et aidée de Maman, j'ai replanté avec nos meilleures semences. Il est un peu tard en saison, mais ce sont les meilleures graines, sélectionnées avec amour, qui donneront les meilleurs fruits.
En attendant les premières pousses, j'ai essayé de recueillir le miel du printemps. C'est mon préféré, il est fondant, plus léger et plus délicat que tous les autres...
Malheureusement pour moi, j'ai vite compris que c'était aussi le préféré des abeilles. Maman s'est gentiment moqué de moi : - " C'est le métier qui rentre".
Enfin, le jour de l'anniversaire d'Elanna est arrivé. Ma jolie petite soeur va quitter le foyer à son tour, me laissant le champ libre pour mes projets...
Elle s'est fait finalement une joie de partir. Mon feu follet de petite soeur a confié à Adriel qu'elle avait hâte de fonder une famille. Elle rêve d'avoir cinq enfants, rien que cela ! Moi, un seul me suffirait... Si c'est une fille... Une petite héritière à chérir, à former, pour qu'elle puisse un jour, à son tour, adjoindre sa pierre à notre édifice...
Adriel aussi a grandi, devenant plus gentil encore ; et plus précieux encore pour notre fortune, puisqu'il a développé le don de découvrir les meilleures ressources de la nature, les graines les plus spéciales, les pierres les plus précieuses. Mon cher ami, tu n'aurais pas pu développer ton nouveau don tandis que je m'évertuais à la recherche d'une pierre de lune ?
Adriel a bien tenté de convaincre Elanna de rester avec nous, de construire l'avenir des Tourelles ensemble. C'est fondamentalement ce qu'il souhaiterait : vivre et avec sa meilleure amie, et avec moi, de préférence un peu plus qu'à mes côtés. Mais on ne peut pas tous tout avoir ; et Elanna était fermement décidée à faire sa vie plus loin dans la vallée. Elle part ; et, après avoir longuement hésité, il reste.
Enfin, certaines choses ne changeront jamais. Leur complicité est inébranlable.
Elanna a déménagé dans une petite maison de la vallée, non loin des Tourelles. Je lui souhaite sincèrement de rencontrer un beau jeune homme ( mais pas Yann) et de pondre une nichée d'enfants...
Je me suis mise sérieusement au travail, travaillant ardement du lever au coucher du soleil.
Adriel, lui aussi, est dur à l'ouvrage, plus encore que moi. Et le temps qu'il ne passe pas au jardin, il le passe à la pêche, pour assurer un complément de revenu bienvenu, car il faut avouer que les fonds sont faibles.
Comme prévu, il a transformé sa chambre en annexe du potager, sélectionnant étroitement les meilleurs plants pour nos semailles futures.
Papa, lui aussi, participe aux efforts financiers en pêchant tant qu'il le peut. Avec sa gentillesse habituelle, il prétend qu'il ne le fait que par plaisir.
Avec le départ d'Auryl et d'Elanna, c'est lui aussi qui se charge de l'entretien des licornes.
Maman, elle, continue à nous gâter et à nous nourrir, des portions énormes que nous avalons avec appétit, tant notre dur labeur en plein air peut creuser.
J'étudie avec conscience mes nouvelles capacités magiques, espérant parvenir un jour à leur pleine maîtrise.
Cher Journal ;
Je sais par Adriel, qui connait bien Yann, que ce dernier s'est enfin décidé à grandir. Aujourd'hui est un grand jour. Vêtue de ma plus belle robe, je me suis lancée et l'ai invité à venir me rendre visite.
Mon Dieu ! Il était encore plus beau que quand nous étions tout deux adolescents... Il était tout simplement magnifique, et je brûlais de désir à sa simple vue. Cet homme, je le voulais, tout à moi.
Je me croyais en bonne voie, sûre de moi, séduisante, douce et délicate, attirante...
Mon premier baiser n'a rencontré que le vent....
Cela ne pouvait pas se passer comme cela. Cet homme, qui me repoussait, qui se moquait de moi, je le ferais brûler à son tour d'amour et de désir. Et quand il sera mien, frémissant d'ardeur, je me souviendrai de mes larmes de gamine, et je les lui ferai payer. Je le rejetterai dans sa fange.
Pour parvenir à mes fins, j'ai toute la magie du monde. Yann n'a aucune chance.
Bon, la magie que j'ai déclenchée m'a surprise et un peu effrayée. Jamais je n'avais ressenti une pareille puissance. On aurait dit qu'une décharge de lumière faisait éclater la continuité du monde...
Et cette décharge, cette lumière, m'ont envahies toute entière. J'étais toute puissante ! Et Yann m'aimait !
J'ai couru le rejoindre pour vérifier mon pouvoir... Il était mien, prêt à tout pour goûter le fruit de mes lèvres....
Qu'il goûte ! Qu'il savoure les quelques heures de plaisir qui le sépare de la déchirure de son âme...
Humm... Intéressant... Il faudra renouveler l'expérience...
Mais voilà qu'à peine réveillé, le lendemain matin le sort s'était évaporé... Yann m'a gentiment demandé de rester amis. Une telle humiliation, une si amère défaite....
Je lui ai clairement signifié ce que je pouvais en penser.
Il m'a ensuite précisé qu'il était inutile de le rappeller. J'ai résisté péniblement à la tentation de le gifler. Ou de le brûler vif.
Pauvre Adriel ! J'ai pleuré sur son épaule toutes les larmes de mon corps. Je lui ai raconté ma détresse, ma colère et mon humiliation. Sans lui, sans son amour indéfectible, je pense que j'étais au bord d'une longue dépression.
Je pleure encore parfois, quand nul ne peut me voir. Mais ce n'est plus le temps des larmes, ni même celui de la colère.
J'ai un retard de cycle. Je crains fort d'être enceinte, fille mère d'un homme que je méprise et maudis. L'heure est à la vengeance.