Journal de Maelys, chapitre 5.
Cher Journal ;
L'hiver se poursuit, interminable cette année. Les enfants tournent en rond dans la maison, s'amusant comme ils le peuvent.
Mais je sens bien qu'ils trépignent, attendant avec impatience le retour du beau temps et la joie de courir au dehors. On sent l'énervement, la lassitude ; et les jeux d'intérieur ne les satisfont plus. Il fait si froid dehors qu'on ne peut sortir plus d'une heure sans se faire des engelures ; et les enfants rentrent souvent de l'école bleus de froid.
L'anniversaire d'Hermione et de Vaniel est arrivé. La petite rayonnait, ravie de se savoir grande à présent, avide de profiter à corps perdu des joies (et des peines) de l'adolescence. J'ai croisé les doigts pour qu'elle ne devienne pas aussi difficile qu'Ewilan ...
Elle n'en a pas conscience, mais elle est devenue magnifique. Je trouve que son visage rayonne d'une adorable douceur. Et elle est restée, comme je n'osais l'espérer, aussi gentille et facile à vivre qu'elle a toujours été. Plus secrète, en revanche, et plus introvertie, plus réfléchie que l'enfant extravertie qu'elle n'est désormais plus.
Le petit Vaniel, lui aussi, a bien grandi. C'est un enfant adorable, quand on franchit la barrière de sa timidité.
En grandissant, sa timidité s'est exacerbée au point qu'il devienne franchement solitaire. Il n'est plus à l'aise que seul ou en petit comité. Je l'appelle mon petit ermite.
Cela me fait penser que je ne sais pas trop comment le caractère d'Hermione a évolué, je n'ai pas vu de différence. "Elle fait des baisers divins", ai-je entendu Vaniel chuchoter à son frère. Comment ? J'ai dû mal entendre, ils sont beaucoup trop jeunes...
Alors qu'Ewilan ne s'en était jamais soucié, Hermione, elle, m'a rapidement demandé pourquoi elle et ses soeurs n'étaient pas devenues des sorcières, comme moi. Je n'ai pas trop su quoi répondre. Invoquer les hasards de la génétique m'a paru insufisant, et je n'allais pas prétendre que cela n'avait aucune importance. Pour Hermione, cela, indiscutablement, avait de l'importance...
Je lui ai promis de poursuivre mes recherches. S'il y a un moyen de lui donner l'opportunité de choisir, je la trouverai. Mais je ne l'ai pas sentie convaincue par ma pauvre tentative de réconfort.
Je me suis replongée dans mes grimoires...
Mais ma petite Hermione reste quand même toute pensive.
Cher Journal ;
Ca y est, le printemps est revenu, enfin !
Notre demeure, "La Tourelle", semble enfin respirer. L'air vivifiant entre par toutes les fenêtres tandis que Brunehilde, méticuleuse, s'affaire au grand nettoyage de printemps. On aère, on frotte, on nettoie les séquelles de l'hiver. Et le moral de notre maisonnée s'épanouit comme les fleurs du jardin.
En parlant du jardin....C'est aussi le moment de faire le point sur les dégâts conjoints que les zombies et le gel lui ont fait subir... Tout semble à refaire !
Et, comme le printemps a été tardif, les plantations doivent être initiées dès que possible pour assurer la récolte.
On s'est donc mis à l'ouvrage. Hermione, Sean et moi avons commencé à désherber et à déraciner les plants desséchés avant le grand ouvrage des semis.
Pour les licornes aussi, le printemps a été accueilli avec joie. Cela m'émeut toujours de voir de si belles, si magiques créatures vivrent à nos côtés. Elles flânent désormais dans le jardin, boivent dans les étangs...
Et galopent jusqu'aux coins les plus reculés de Dragon Valley.
Cher Journal ;
Le temps passe vite ; il faut dire que nous avons été très occuppés ; nous n'avons pas ménagé nos efforts, mais malgré tout les semis ont pris du retard. Nous avons découvert une nouvelle sorte de limace particulièrement vorace qui s'est attaqué à nos jeunes pousses, mais un petit sortilège bénin nous a permis de nous en débarasser. Hermione nous aide souvent au jardin ; et Auryl s'occuppe des licornes (il en est fou). Mais mon timide petit Vaniel préfère s'isoler pour lire, ou parcourir la galaxie, et Ewilan, quand elle ne rêve pas de devenir une star ou un top model, continue ses farces potaches.
Dans quelques jours, ce sera l'anniversaire d'Elanna ; Sean et moi nous approchons de l'automne de notre âge, mais nos filles sont magnifiques. Il va falloir que je décide à laquelle je vais laisser la ferme, mais rien ne presse, encore, et je repousse cette décision chaque jour.
Notre petite dernière est un feu follet ; toujours en mouvement, toujours risque tout, à grimper aux arbres, à sauter, courir, faire la roue, tenter de capturer tous les insectes et les reptiles de la création. Elle m'a rapporté l'autre jour un python bicolore, j'en tremble encore.
Sean et moi la gâtons trop, profitant des derniers jours de son enfance pour la couver. D'ici peu, nous devrons affronter les sautes d'humeur, les révoltes et les chagrins d'amour, et je subodore qu'avec son caractère de feu Elanna ne va pas traverser l'adolescence sans esclandres.
Cher Journal ;
Le grand jour est arrivé : je n'ai plus de poussin au foyer, mais de grandes filles désormais, accompagnées de grands gaillards solides. Elanna sautait littéralement de joie à l'idée de souffler ses bougies. Treize ans, c'est vraiment un bel âge.
Elle est devenue aussi belle que ses soeurs. Elle a pris de la maturité, pense désormais à l'avenir, à celui qu'elle épousera, à ses futurs enfants... Elle s'est aussi beaucoup rapprochée des membres de la famille, alors qu'auparavant elle se consacrait quasiment exclusivement à Adriel. Mais elle reste cependant casse cou avant tout !
Bien sûr, Adriel a grandit lui aussi. Il est devenu aussi passionné de jardinage que nous.
Il passe désormais le plus clair de son temps dehors. Des trois amis imaginaires que nous avons recueillis, c'est de loin le plus mignon ( du moins à mon goût). Au lycée, il devrait faire fondre les filles.
Pas d'amourette en revanche entre Adriel et Elanna, pas plus qu'entre Hermione et son Vaniel si solitaire ; ils sont amis pour toujours, et se considèrent comme frères et soeurs.
Les derniers enfants de la maison ont grandi, mais il y a des choses qui ne changeront jamais.
Cher Journal ;
Le bal de fin d'année a eu lieu. Ewilan a failli être punie et ne pas pouvoir s'y rendre.
Elle continue à pratiquer l'extorsion de simflouz et les pièges de mauvais goûts, au détriment de ses devoirs. Cela me désole.
Mais, en fin de compte, j'ai considéré qu'il était important pour son développement narcissique de se présenter à ce rite social. Tous les manuels de pédopsychologie adolescente mettent en relief l'importance de la confrontation de l'être et du paraître pour pouvoir, dans une fusion spirituelle, développer une conscience sociale.
Je ne suis pas sûre d'avoir compris, mais dans le doute, j'ai autorisé Ewilan à aller au bal, et elle en est revenue reine du bal, avec son cavalier Auryl ! Je suis très fière ; mais ils ont ricanés sur la tête des candidates déçues toute la soirée.
Ce qui dégrade la scolarité d'Ewilan, c'est la foi irrépressible qu'elle a en les prédictions malheureuses de la boule de cristal. Cette dernière lui suggère régulièrement des échecs scolaires, et pouf ! Le lendemain, Ewilan rate ses examens... C'est bien évidemment une situation de mise en échec inconsciente, peut-être liée à sa nature de simple humaine dans un manoir de sorciers... Ou l'expression d'une angoisse, peut être une phobie scolaire sous jacente ?
Toujours prosaïque, Sean reprend les cours du soir. Ewilan aura passé davantage de temps en cours de rattrappage divers que ses deux soeurs réunies.
Pendant ces périodes studieuses, son Auryl passe son temps à cheval. Ce n'est plus un ami imaginaire, c'est un centaure ! Il maîtrisera bientôt l'art de l'équitation dans ses plus extrèmes finesses.
Mais maintenant, la question se pose de façon aiguë : les filles grandissent, doivent se préparer à l'avenir. A laquelle puis je transmettre le jardin et le manoir ? Qui choisir ?